"Ce type n’a rien. Juste une chance incroyable. Juste l’espoir de repartir avec les 200 000 euros affiché là, au bas de l’écran. Il a répondu, parfois avec brio, parfois avec culot, à toutes les questions jusqu’à maintenant.
Ne reste que cette dernière.
Il tremble un peu. Ne sait plus s’il doit déjà sourire, ou rester impassible. On voit qu’il commence à y croire, à élaborer des projets, de ce qu’il ferait avec ces 200 000 euros.
Changer de logement, offrir mieux qu’un taudis à ses enfants. De belles robes pour sa femme. Des meubles qui ne risquent pas à tout moment de se disloquer. Ça va changer leur vie …
Ne reste que cette question qui vient de s’afficher. A son regard, on sent qu’il a la réponse. Le présentateur lui rappel que c’est l’ultime étape. Qu’il lui faut une bonne réponse, au risque de tout perdre !!
L’animateur agace tout le monde;
Le joueur, qui sue a grosse goutte.
Le public.
Les millions de téléspectateurs.
Quand va-t-il se taire ?!...
Il énumère encore une fois les règles du jeu, rappel au candidat qu’il lui reste un joker, et que s’il ne l’utilise pas, un bonus de 50 000 euros sera ajouté à la somme à gagner.
Il gesticule, le présentateur, il semble au paroxysme de l’excitation. L’audience est à son comble, dans chaque chaumière, on attend qu’il ait terminé sa diatribe, suspendu à ses lèvres. Il le sait...
Soudain, et enfin, il se tait, certainement rappelé à l’ordre par une voix dans son oreillette. Le candidat en profite pour déclamer qu’il n’utilisera pas son joker. Qu’il connaît la réponse.
Le gentil animateur se fige, déçu que le suspens soit ainsi tronqué. Aucune hésitation, ça va faire baisser l’ audimat.
250 000 euros, martèle-t-il, encore et encore… un compte à rebours se met en place pour dévoiler si la réponse choisie est la bonne.
Partout dans le pays, des mères de famille se surprennent à croiser les doigts, des grands-pères retiennent dangereusement leur souffle, et le candidat commence à chanceler…
Gros plan de la caméra sur son visage congestionné, parfait pour l’audience. S’il pouvait pleurer un peu, juste un tout petit peu…
4…
3…
2…
1…
X
Silence de plomb.
L’animateur susurre un « oh non … » traînant, qui se veut doux et compatissant.
L’homme qui a tant espéré, pour sa femme, pour ses enfants, se décompose littéralement.
Il tremble, les larmes aux yeux, on voit qu’il ne peut prononcer un mot. Sa main portée à ses lèvres montre son écœurement.
La douleur est trop visible, trop poignante, trop blessante. A travers son expression hagarde et désœuvrée, les spectateurs ressentent de la pitié. Pire, de la compassion. Ils se rendent compte de l’absurdité, de la cruauté de ces jeux télévisés, de la rapidité à détruire une vie.
Ils comprennent d’un coup la manipulation visuelle, lorsque la camera se détourne du candidat, pour se fixer sur l’animateur, qui déjà parle de la prochaine émission. Sur un ton enjoué, jovial.
Les téléspectateurs ne le voient pas. Ils cherchent le perdant, hors champs.
Ils remarquent les yeux exorbités du public présent sur le plateau. Leur regard tous dans la direction opposé du présentateur.
Ils sont médusé, plusieurs sont même bouche bée.
Tout est si rapide parfois.
Juste un sanglot, un cri, un bruit sourd.
Un léger mouvement de foule, certain se décidant à intervenir, trop tard.
Les producteurs se réjouissent que les cameras aient été détourné.
Un suicide en direct, c’ eut été du plus mauvais effet.
Un geste d’au-revoir de l’animateur, et un « à demain », joyeusement claironné…
_ Coupure d’antenne_ "
écrit dans le premier trimestre 2008 (ha oui, tiens, je devrais mettre des dates quand je termine une histoire !
)